La critique ciné : Agora

Publié le par Audie

agora_affiche.jpgAgora (Agora)

Réalisé par Alejandro Amenábar

Dans les salles depuis le 6 janvier 2010

Le pitch : IVème siècle après Jésus-Christ. L'Egypte est sous domination romaine. A Alexandrie, la révolte des Chrétiens gronde. Réfugiée dans la grande Bibliothèque, désormais menacée par la colère des insurgés, la brillante astronome Hypatie tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles, avec l'aide de ses disciples. Parmi eux, deux hommes se disputent l'amour d'Hypatie : Oreste et le jeune esclave Davus, déchiré entre ses sentiments et la perspective d'être affranchi s'il accepte de rejoindre les Chrétiens, de plus en plus puissants...

Par la barbe du prophète ! Mieux vaut ne pas trop être attaché à la religion avant d'aller voir ce film (et en particulier au christianisme) tant la manière dont elle décrite est sévère.

Mais laissons là les questions liées aux dogmes et attachons-nous d'abord à l'esthétique du dernier né du cinéaste espagnol. Tourné à Malte, dans des décors à couper le souffle, Agora est une véritable et très belle plongée dans une Antiquité à la fois belle et brutale, où le sang se mêle sans complexe à la Connaissance, où un mot peut déclencher une guerre et où les pierres font autant office de loi que les décrets. Avec ses nombreux figurants vêtus à la mode de cette Antiquité conforme à notre imaginaire, Amenabar donne vie aux différents quartiers d'Alexandrie, où les habitants vivent dans une harmonie toute relative, plusieurs religions aux dogmes puissants cohabitant dans un premier temps, avant que l'intolérance ne prenne le pas sur l'intelligence.
D'ailleurs, très vite, chacun de ces groupes d'individus est installé dans "son" rôle, et Amenabar nous aide à en décoder la lecture par des choix stylistiques (par stylistique, je parle de stylisme, pas de quelque chose de supra abscons, intellectuel et recherché ;p) délibérés : les païens, dont certains sont aussi, dans un premier temps, les disciples d'Hypathie, sont vêtus de blanc, les chrétiens sont habillés de couleurs sombres : noir pour les "parabalani" une armée de Christ à la miséricorde toute relative, et bleu pour les fidèles, les juifs portent leurs tenues traditionnelles faites des deux couleurs (noir et blanc), et les légions romaines sont (évidemment) en rouge. Facile d'identifier chacun des groupes donc et de suivre l'évolution de chacun d'entre eux dans cette Alexandrie qui, peu à peu, s'embrase. 

L'histoire commence avec la présentation de la philosophe Hypathie, belle femme d'une intelligence rare, pour qui le mariage et la réduction au silence ("apanage" des êtres de son sexe) sont des options totalement rayées de sa vie tant elle aime la Recherche et la Connaissance. Face à elle, une classe exclusivement masculine, future élite de la mégalopole, boit ses paroles pleines de bon sens, distillées avec une grâce qu'ont rarement nos profs de philo actuels.
Mais voilà, la vie serait bien trop facile si un élément perturbateur ne venait pas déranger ce joli tableau. Et cet élément s'appelle les chrétiens. Parvenus une certaine forme d'acceptation de la part de l'Empire, ils prennent de plus en plus de galon et d'importance à Alexandrie, n'hésitant pas à rendre la monnaie de la pièce à tous ceux qui étaient leurs bourreaux, païens en tête, en les moquant et en les insultants ouvertement, défendant ainsi la gloire de leur dieu. Face à eux, les païens détenteur de Connaissance, vont répliquer de manière violente (et déclencher une vengeance en règle des chrétiens), ce qui va conduire à leur expulsion de la grande bibliothèque, qui va, comme on le sait, finir brûlée.
On l'aura compris, les chrétiens n'ont pas le beau rôle dans le film. Au contraire, ils sont dépeints comme des fanatiques violents, primaires, dogmatiques, incapables de la moindre tolérance ou même de la moindre miséricorde. Sauf que...
Sauf qu'ils offrent à des catégories de gens totalement ignorées des élites païenne une dignité à laquelle ils n'auraient jamais eu accès jusque là. C'est le cas de l'ancien esclave Davus. Amoureux d'Hypathie, il sera l'un de ses élèves les plus assidus, comprenant les problématiques qu'elle expose, étudiant même à ses heures perdues les préceptes enseignés par la philosophe. Mais voilà, c'est un esclave. Et quand Hypathie fait référence, à deux reprises, à sa classe de manière assez insultante, il se dit que l'herbe chrétienne doit être plus agréables à brouter. Et c'est ainsi qu'Hypathie perd stupidement l'un des siens.
Elle perdra deux de ses autres élèves, Oreste et Synésius, au pied de l'autel de l'ambition. L'un et l'autre cherchent à devenir "quelqu'un" dans la cité d'Alexandrie, et si Oreste choisit la voie politique (et devient chrétien pour y parvenir), Synésius, lui, choisit les ordres, et deviendra évêque.
La suite, mieux vaut la découvrir en voyant ce film qui est d'une très grande intelligence.

Car au-delà de la dénonciation des dogmes (je pense que la manière dont Amenabar décrit l'installation brutale du christianisme dans cette région du monde n'est qu'un prétexte), c'est la façon dont les hommes ont tendance à écraser les connaissances et recherches de leurs prédécesseurs qui sont montrés du doigt. Car dans le fond, il ne s'agit pas d'adhérer à une religion plutôt qu'une autre, mais à conserver le droit de s'interroger, d'interroger les fois et les dogmes, pour s'assurer que l'on avance dans la bonne direction plutôt que d'imposer des idées par la force ou par la culpabilité. Il y a toujours eu - et il y aura toujours - des vainqueurs et des vaincus dans le monde, c'est ainsi qu'il fonctionne. La seule erreur de l'homme, depuis que le monde est monde, est de se croire supérieur à la classe d'individus qu'il chasse, ce qui fait qu'il ne cesse de faire du "sur place", au lieu de se servir des découvertes des vaincus comme tremplin.
Les dogmes sont dangereux dans la mesure où ils enferment plus qu'ils ne libèrent, même quand ils se veulent teintés d'amour et de piété (entre eux, les chrétiens s'entraident pendant tout le film !). Ce message ne peut que trouver un écho dans ce que le monde vit actuellement, et pas forcément du côté du Moyen-Orient ou de l'Afghanistan ! Les dogmes sont à débusquer partout... si seulement on se donnait la peine de les déterrer.

Un très très très beau film donc, intelligent et bien mené, jalonné de quelques virgules métaphysiques qui poussent à se poser des questions (qui eût cru que Google Earth pût être aussi spirituel)... et une Rachel Weisz extraordinaire. Un coup de coeur.

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Publié dans La Critique Ciné...

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N
<br /> Très très beau film c'est vrai. Et en fait c'est vraiment un aspect de la religion (et ici le christianisme mais on est d'accord ce pourrait être n'importe laquelle) qui est mis en avant. Ou plutôt<br /> une des utilisations, la plus répandue sans doute, celle qui confère à ces faux prophète un pouvoir de vie et de mort sur toute une population... et c'est toujours aussi effrayant<br /> <br /> <br />
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V
<br /> Remarquable analyse sur le dogme. J'ajouterais aussi un portrait de femme exceptionnel(le), mais tu as su évoquer et compléter les critiques de nos confrères. Bravo ! J'adhère complètement !<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci du compliment!! Mais c'est que j'ai tellement été charmée par l'intelligence avec laquelle les dogmes sont dénoncés...<br /> Et pour ne rien gâcher, je trouve qu'en terme de scéno, les décors sont dignes de tous les grands péplums que tu cites et qui ont bercé mon adolescence (et on est d'accord, "Alexandre" n'en fait<br /> pas partie). Un coup de coeur!<br /> <br /> <br /> <br />
V
<br /> Un film que j'aimerais bien découvrir. J'ai pris pas mal de retard avec les sorties ciné il va falloir que je change tout ça :P<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Allez hop, en salles! ;p<br /> <br /> <br /> <br />